Comment l'humanité, qui était au sommet du progrès technique, a-t-elle pu se laisser happer par la barbarie totalitaire et finir par y sombrer ? Telle est la question de Condition de l'homme moderne. Cette faillite est la conséquence de l'oubli par l'homme moderne d'un monde de valeurs partagées et discutées en commun avecautrui, dès lors qu'il n'a plus envisagé les choses qu'au travers du prisme de leur utilité pour son bonheur privé. Indifférent aux autres, l'homme moderne ne forme plus avec eux qu'une foule d'individus sans lien véritable et sans défense contre la voracité des dictateurs et des leaders providentiels. Seule une « revalorisation de l'action »,nous dit Arendt, cette intervention consciente avec et en direction d'autrui, permettra à l'homme moderne d'échapper aux dangers qui pèsent toujours sur sa condition.
Paru une première fois en français en 1961, Condition de l'homme moderne est le premier texte de Hannah Arendt publié en France. Cette réédition est accompagnée de l'importante préface originale de Paul Ricoeur qui reste à ce jour une des meilleures introductions à la pensée d'Arendt. Dans son avant-propos inédit, Laure Adler montre comment le texte d'Arendt fut et reste visionnaire dans l'éclairage qu'il jette sur les urgences d'aujourd'hui.
Ce volume rassemble la totalité des écrits qu'Hannah Arendt a consacrés, sinon à la « question juive », du moins aux « affaires juives », lesquelles tiennent une place importante dans son oeuvre. Ils s'étalent sur quatre décennies, des années 1930 aux années 1960. Témoin et victime de l'antisémitisme, c'est en tant que Juive, en revendiquant son donné, sa judéité, que s'avança toujours celle qui vécut aux sombres temps brechtiens. Si les sionistes avaient à ses yeux le mérite d'avoir compris qu'il était urgent pour les Juifs de s'engager dans l'action afin de faire face aux dangers qui les menaçaient, nombre des articles ici présentés sont cependant extrêmement critiques à leur égard. Arendt leur reprochait principalement leur absence d'analyse des fondements de l'antisémitisme en Allemagne, leur totale méconnaissance de la réalité arabe - pour elle, compte tenu de la situation géographique de la Palestine, la question la plus urgente était de parvenir à un accord avec les peuples arabes frontaliers -, enfin leur désintérêt pour les Juifs européens - les sionistes n'ayant eu dès le départ aucune politique concernant la diaspora. Loin, donc, de partager leur objectif d'établissement d'un État-nation juif, Hannah Arendt plaçait ses espoirs dans un système de gouvernement fédéral, seule alternative à ses yeux à la « balkanisation » de la région. Ce qui frappe à la lecture de ce volume, c'est, sinon l'aspect « prophétique » de la réflexion arendtienne, du moins le fait que son propos soit hélas toujours d'actualité.
Du 11 avril au 14 août 1961, se tient, à Jérusalem, le procès d'Adolf Eichmann - ancien chef de service du bureau IV B 4 de la Gestapo chargé de la « solution du problème juif en Europe » - pour lequel Hannah Arendt obtient du journal The New Yorker d'être envoyée en tant que reporter. En 1963, elle publie à la suite de ce procès son livre Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal. Il s'agit ici de proposer une nouvelle approche de la réception du livre d'Arendt et de sa polémique à travers la lecture de quatre textes inédits en français.
La philosophe Hannah Arendt, auteur des Origines du totalitarisme, couvrit à sa demande le procès d'Eichmann à Jérusalem en 1961 pour le compte du New Yorker. Le livre qui en est l'aboutissement, Eichmann à Jérusalem, sous-titré Rapport sur la banalité du mal, déclencha immédiatement la polémique aux États-Unis puis lors de sa publication en France en 1966, tandis que d'aucuns déconseillèrent même sa publication en Allemagne (1964). Elle y soutenait qu'Eichmann n'était ni un Iago ni un Macbeth, imputant ses crimes à la pure absence de pensée, ce qui, précisait-elle, n'équivalait nullement à la « stupidité ». Comment s'explique dès lors le titre du présent entretien qu'elle accorda à l'historien allemand Joachim Fest, auteur notamment des Maîtres du IIIe Reich ? De même comment expliquer que, bien qu'Eichmann lui répugnait, s'exprimant sur Albert Speer, l'architecte de Hitler qui devint ensuite ministre de l'Armement, elle puisse affirmer dans la seconde partie de leur entretien : « L'homme me plaît, mais je ne parviens pas à le comprendre » ? Faut-il y voir une nouvelle provocation de la part de celle qui pourtant, ne se targuait que de « dire la vérité des faits » ? Ce livre rassemble l'entretien accordé par Hannah Arendt à Joachim Fest en 1964, leur correspondance, ainsi que les écrits qui ont amorcé la controverse. S.C.-D.Hannah Arendt (1906-1975) est considérée comme l'une des plus grandes philosophes du XXe siècle. On compte parmi ses grands textes Les Origines du totalitarisme, L'Humaine Condition et, plus récemment, Écrits juifs.Joachim Fest (1926-2006), historien et essayiste allemand, a notamment écrit Les Maîtres du IIIe Reich (1963). Traduit de l'allemand et de l'anglais (américain) par Sylvie Courtine-Denamy.
Liés d'amitié dès le milieu des années trente, mais fondamentalement opposés par leurs idées, Hannah Arendt et Gershom Scholem ne cessèrent, plus de vingt ans durant, d'échanger des lettres chargées de passion entre New York et Jérusalem. Entre eux, Walter Benjamin, le très cher ami commun dont la mort en 1940 hante cette correspondance de bout en bout.
Celle-ci témoigne d'abord des débats qui enflammèrent les intellectuels juifs (et pas seulement eux) après le génocide : les Juifs doivent-ils former un État distinct fondé sur la judéité ? doivent-ils au contraire s'assimiler dans les pays où ils résident ? Scholem soutient la première option, Arendt la seconde.
C'est ainsi qu'entre 1939 et 1963, le cabbaliste et la philosophe confrontent leurs opinions sur la judéité, le sionisme, l'actualité politique, leurs écrits respectifs, mais aussi le destin des Juifs, tandis qu'après la guerre ils s'engagent l'un et l'autre dans le sauvetage des bibliothèques et des archives pillées par les nazis. Jusqu'à quel point le deuil des morts et le combat pour la survie du judaïsme fondait-il leurs relations ?
Ce débat passionné s'achèvera sur une rupture, Scholem ayant les mots les plus durs pour la façon dont son amie avait rendu compte en 1963, dans la presse américaine, du procès Eichmann. Était-elle devenue à ses yeux une " mauvaise juive " ?
Plutôt se taire que se déchirer.
Édition critique réalisée par David Heredia et Marie Luise Knott
Postface de Marie Luise Knott
Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, avec Françoise Mancip-Renaudie pour les lettres et textes en anglais