Rayons
Langues
Accessibilité
Patrick Modiano
-
"La danseuse arrivait, le matin, à sept heures quarante-cinq, gare du Nord. Ensuite le métro jusqu'à la place de Clichy. Le bâtiment du studio Wacker était vétuste. Au rez-de-chaussée, une dizaine de pianos d'occasion, rangés en désordre comme dans un dépôt. Aux étages, une sorte de cantine avec un bar et les studios de danse. Elle prenait des cours avec Boris Kniaseff, un Russe que l'on considérait comme l'un des meilleurs professeurs... Une odeur particulière de vieux bois, de lavande et de sueur."
-
"Pour la première fois depuis quinze ans, le nom de cette femme lui occupait l'esprit, et ce nom entraînerait à sa suite, certainement, le souvenir d'autres personnes qu'il avait vues autour d'elle, dans la maison de la rue du Docteur-Kurzenne. Jusque-là, sa mémoire concernant ces personnes avait traversé une longue période d'hibernation, mais voilà, c'était fini, les fantômes ne craignaient pas de réapparaître au grand jour. Qui sait ? Dans les années suivantes, ils se rappelleraient encore à son bon souvenir, à la manière des maîtres chanteurs. Et, ne pouvant revivre le passé pour le corriger, le meilleur moyen de les rendre définitivement inoffensifs et de les tenir à distance, ce serait de les métamorphoser en personnages de roman."
-
« Et parmi toutes ces pages blanches et vides, je ne pouvais détacher les yeux de la phrase qui chaque fois me surprenait quand je feuilletais l'agenda : "Si j'avais su..." On aurait dit une voix qui rompait le silence, quelqu'un qui aurait voulu vous faire une confidence, mais y avait renoncé ou n'en avait pas eu le temps. »
-
J'écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la mienne. Les événements que j'évoquerai jusqu'à ma vingt et unième année, je les ai vécus en transparence - ce procédé qui consiste à faire défiler en arrière-plan des paysages, alors que les acteurs restent immobiles sur un plateau de studio. Je voudrais traduire cette impression que beaucoup d'autres ont ressentie avant moi : tout défilait en transparence et je ne pouvais pas encore vivre ma vie.
-
En exergue de cet étonnant récit, une histoire juive : "Au mois de juin 1942, un officier allemand s'avance vers un jeune homme et lui dit : Pardon, monsieur, où se trouve la place de l'Étoile ? Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine." Voici, annoncé en quelques lignes, ce qui anime le roman : l'inguérissable blessure raciale.
Le narrateur, Raphaël Schlemilovitch, est un héros hallucinatoire. À travers lui, en trajets délirants, mille existences qui pourraient être les siennes passent et repassent dans une émouvante fantasmagorie. Mille identités contradictoires le soumettent au mouvement de la folie verbale où le Juif est tantôt roi, tantôt martyr et où la tragédie la plus douloureuse se dissimule sous la bouffonnerie. Ainsi voyons-nous défiler des personnages réels ou fictifs : Maurice Sachs et Otto Abetz, Lévy-Vendôme et le docteur Louis-Ferdinand Bardamu, Brasillach et Drieu la Rochelle, Marcel Proust et les tueurs de la Gestapo française, le capitaine Dreyfus et les amiraux pétainistes, Freud, Rebecca, Hitler, Eva Braun et tant d'autres, comparables à des figures de carrousels tournant follement dans l'espace et le temps. Mais la place de l'Étoile, le livre refermé, s'inscrit au centre exact de la "capitale de la douleur".
Prix Roger-Nimier -
"Vous en avez de la mémoire..."
Oui, beaucoup... Mais j'ai aussi la mémoire de détails de ma vie, de personnes que je me suis efforcé d'oublier. Je croyais y être parvenu et sans que je m'y attende, après des dizaines d'années, ils remontent à la surface, comme des noyés, au détour d'une rue, à certaines heures de la journée. -
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
Patrick Modiano
- Gallimard
- Folio
- 11 Février 2016
- 9782072647024
"- Et l'enfant ? demanda Daragane. Vous avez eu des nouvelles de l'enfant ?
- Aucune. Je me suis souvent demandé ce qu'il était devenu... Quel drôle de départ dans la vie...
- Ils l'avaient certainement inscrit à une école...
- Oui. À l'école de la Forêt, rue de Beuvron. Je me souviens avoir écrit un mot pour justifier son absence à cause d'une grippe.
- Et à l'école de la Forêt, on pourrait peut-être trouver une trace de son passage...
- Non, malheureusement. Ils ont détruit l'école de la Forêt il y a deux ans. C'était une toute petite école, vous savez..." -
Comment devenir traître, comment ne pas l'être ? C'est la question que se pose le héros du récit qui travaille en même temps pour la Gestapo française et pour un réseau de résistance. Cette quête angoissée le conduit au martyre, seule échappatoire possible.
Par ce livre étonnant, tendre et cruel, Modiano tente d'exorciser le passé qu'il n'a pas vécu. Il réveille les morts et les entraîne au son d'une musique haletante, dans la plus fantastique ronde de nuit. -
Un été des années soixante. Une petite ville française au bord d'un lac, près de la Suisse. Victor Chmara a dix-huit ans et se cache parce qu'il a peur. D'étranges personnages hantent cette ville d'eau, comme ce docteur que l'on surnomme La Reine Astrid...
Mais il y a surtout Yvonne, avec son dogue allemand...
Une recherche du temps perdu. -
Comme son papa, Catherine Certitude porte des lunettes. Et comme sa maman qui vit à New York, elle aimerait devenir une grande danseuse. Contrainte d'enlever ses lunettes pour danser, Catherine découvre l'avantage de pouvoir vivre dans deux mondes différents : le monde réel, tel qu'elle le voit quand elle les porte, et un monde plein de douceur, flou et sans aspérité quand elle les ôte. Un monde où elle danse comme dans un rêve...
Prix Nobel de littérature -
Le narrateur part à la recherche de son père. Le voici dans un village, en bordure de la forêt de Fontainebleau, du temps de l'occupation, au milieu d'individus troubles. Qui est ce père ? Trafiquant ? Juif traqué ? Pourquoi se trouve-t-il parmi ces gens ? Jusqu'au bout le narrateur poursuivra ce père fantomatique. Avec tendresse.
Grand prix du roman de l'Académie française -
"Quelle structure familiale avez-vous connue ? J'avais répondu : aucune. Gardez-vous une image forte de votre père et de votre mère ? J'avais répondu : nébuleuse. Vous jugez-vous comme un bon fils (ou fille) ? Je n'ai jamais été un fils. Dans les études que vous avez entreprises, cherchez-vous à conserver l'estime de vos parents et à vous conformer à votre milieu social ? Pas d'études. Pas de parents. Pas de milieu social. Préférez-vous faire la révolution ou contempler un beau paysage ? Contempler un beau paysage. Que préférez-vous ? La profondeur du tourment ou la légèreté du bonheur ? La légèreté du bonheur. Voulez-vous changer la vie ou bien retrouver une harmonie perdue ? Retrouver une harmonie perdue."
-
"Il suivait la Dieffenbachstrasse. Une averse tombait, une averse d'été dont la violence s'atténuait à mesure qu'il marchait en s'abritant sous les arbres. Longtemps, il avait pensé que Margaret était morte. Il n'y a pas de raison, non, il n'y a pas de raison. Même l'année de nos naissances à tous les deux, quand cette ville, vue du ciel, n'était plus qu'un amas de décombres, des lilas fleurissaient parmi les ruines, au fond des jardins."
-
« C'était une période de ma vie dont je ne pouvais parler à personne, et dont je me demandais quelquefois si je l'avais vraiment vécue. » Patrick et son frère sont hébergés par des amies de leurs parents. De ces femmes, ils savent peu : des bribes de conversations, des portes entrebâillées, de fugitifs visiteurs, des visages baignés de larmes, des sourires de façade, et ces mots, de nombreuses fois égrenés, « la bande de la rue Lauriston ». Dans ce monde intangible, les deux frères se tiennent par la main promenant leur enfance au gré d'escapades nocturnes au château voisin et d'excursions à Paris, en attendant qu'un jour prochain enfin quelqu'un vienne les chercher.
-
Je m'étais assise à la terrasse de l'un des cafés, vis-à-vis du stade Charlety. J'échafaudais toutes les hypothèses concernant Philippe de Pacheco dont je ne connaissais même pas le visage. Je prenais des notes. Sans en avoir clairement conscience, je commençai mon premier livre. Ce n'était pas une vocation ni un don particuliers qui me poussaient à écrire, mais tout simplement l'énigme que me posait un homme que je n'avais aucune chance de retrouver, et toutes ces questions qui n'auraient jamais de réponse. Derrière moi, le juke-box diffusait une chanson italienne. Une odeur de pneus brûlés flottait dans l'air. Une fille s'avançait sous les feuillages des arbres du boulevard Jourdan. Sa frange blonde, ses pommettes et sa robe verte étaient la seule note de fraîcheur dans ce début d'après-midi d'août. A quoi bon tâcher de résoudre des mystères insolubles et poursuivre des fantômes, quand la vie était là, toute simple sous le soleil ?
-
Il faut croire que parfois notre mémoire connaît un processus analogue à celui des photos Polaroïd. Pendant près de trente ans, je n'ai guère pensé à Jansen. Nos rencontres avaient eu lieu dans un laps de temps très court. Il a quitté la France au mois de juin 1964, et j'ai écris ces lignes en avril 1992. Je n'ai jamais eu de nouvelles de lui et j'ignore s'il est mort et vivant. Son souvenir était resté en hibernation et voilà qu'il resurgit au début de ce printemps 1992. Est-ce parce que j'ai retrouvé la photo de mon amie et moi, au dos de laquelle un tampon aux lettres bleues indique : Photo Jansen. Reproduction interdite ? Ou bien pour la simple raison que les printemps se ressemblent ?
-
"Elle sort du théâtre et elle s'agrippe à mon bras... Elle me dit que le metteur en scène, Savelsberg, est venu à l'entracte dans sa loge pour lui proposer le rôle de Nina dans La Mouette, la saison prochaine... Elle ne comprend pas... Savelsberg se déplaçant pour la voir, elle, une débutante, dans une reprise de Noix de coco et lui proposant de jouer Tchekhov ? Nous montons la
rue Blanche sous cette couche de neige... comme dans un rêve..." -
J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l'Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler.
-
Qui pousse un certain Guy Roland, employé d'une agence de police privée que dirige un baron balte, à partir à la recherche d'un inconnu, disparu depuis longtemps ? Le besoin de se retrouver lui-même après des années d'amnésie ?
Au cours de sa recherche, il recueille des bribes de la vie de cet homme qui était peut-être lui et à qui, de toute façon, il finit par s'identifier. Comme dans un dernier tour de manège, passent les témoins de la jeunesse de ce Pedro Mc Evoy, les seuls qui pourraient le reconnaître : Hélène Coudreuse, Fredy Howard de Luz, Gay Orlow, Dédé Wildmer, Scouffi, Rubirosa, Sonachitzé, d'autres encore, aux noms et aux passeports compliqués, qui font que ce livre pourrait être l'intrusion des âmes errantes dans le roman policier.
Prix Goncourt -
"Encore aujourd'hui, il m'arrive d'entendre, le soir, une voix qui m'appelle par mon prénom, dans la rue. Une voix rauque. Elle traîne un peu sur les syllabes et je la reconnais tout de suite : la voix de Louki. Je me retourne, mais il n'y a personne. Pas seulement le soir, mais au creux de ces après-midi d'été où vous ne savez plus très bien en quelle année vous êtes. Tout va recommencer comme avant. Les mêmes jours, les mêmes nuits, les mêmes lieux, les mêmes rencontres. L'Éternel Retour."
Patrick Modiano. -
Qu'est-ce que tu dirais si j'avais tué quelqu'un?
J'ai cru qu'elle plaisantait ou qu'elle m'avait posé cette question à cause des romans policiers qu'elle avait l'habitude de lire. C'était d'ailleurs sa seule lecture. Peut-être que dans l'un de ces romans une femme posait la même question à son fiancé.
Ce que je dirais? Rien. -
"Quand j'avais sept ans, on m'appelait la Petite Bijou.
Il a souri. Il trouvait certainement cela charmant et tendre pour une petite fille. Lui aussi, j'en étais sûre, sa maman lui avait donné un surnom qu'elle lui murmurait à l'oreille, le soir, avant de l'embrasser. Patoche. Pinky. Poulou.
Ce n'est pas ce que vous croyez, lui ai-je dit. Moi, c'était mon nom d'artiste." -
Quatorze récits où l'autobiographie se mêle aux souvenirs imaginaires. L'auteur peint aussi bien une soirée de l'ex-roi Farouk que son père traqué par la Gestapo, les débuts de sa mère, girl dans un music-hall d'Anvers, les personnages équivoques dont le couple est entouré, son adolescence, et enfin quelques tableaux de son propre foyer. Tout cela crée peu à peu un 'livret de famille'.
-
Dans un Paris où ils sont livrés à eux-mêmes, deux très jeunes gens, Odile et Louis, font l'"apprentissage de la ville" et d'une vie de hasards, d'expédients et d'aventures.
Ils ont pour eux leur innocence et croisent sur leur route des individus singuliers, émouvants mais quelquefois peu recommandables qui les entraînent dans des chemins de traverse.
Mais, en définitive, aussi trouble et aussi chaotique que soit un début dans la vie, il se métamorphose, avec le temps, en un beau souvenir de jeunesse, que les deux héros de ce livre sont désormais seuls à partager.